Nostalgie [PV]

Invité

La maison était vide et le silence qui y régnait était d’angoissant. J’avais eu le temps de décorer ma chambre comme je le désirais pendant la semaine passée. Les cours m’avaient parus étonnement aisé et mes devoirs ne m’avaient pris que quelques heures pendant cette première semaine et arrivée au weekend, j’avais tout liquidé et j’étais entièrement libre. Les professeurs m’avaient accueilli avec gentillesse, presque avec pitié. Je savais que mon dossier offrait à tout le personnel les détails de ma vie tumultueuse, mais j’étais toujours choquée par les regards compatissants et bienveillants de ces étrangers. Sans broncher, j’avais assisté à tous les cours, j’avais supporté les regards, les chuchotements désagréables et les remarques complètement indiscrètes. Aucun incident n’avait déclenché mon étrange talent, Dieu merci. Le seul professeur que je n’avais pas encore eu l’occasion de rencontrer était un certain monsieur Terence qui avait une réputation terrible de vieillard aigri. Ma foi, je préférais mille fois ça aux autres. Lundi à la première heure, je pourrais me forger ma propre opinion de ce professeur atypique. En ce qui concerne les élèves, je ne m’étais pas fait d’ami, ce qui n’avait rien d’étonnant puisque je les évitais comme une maladie incurable.

Je savais qu’à quelques kilomètres de chez moi se trouvait une des rivières qui coulait aux alentours de Watson Lake. Mon grand père m’en avait venté la qualité de l’eau et des poissons. Il m’avait aussi dit que c’était un lieu paisible et qui lui rappelait un peu l’Irlande. Nous étions samedi, je n’avais rien à faire et pour une fois, la plus ne s’abattait pas de toutes ses forces sur la ville. Je décidai alors de m’y rendre en suivant les indications très précises que m’avait fournies mon grand père. Avant de partir, je ne manquai pas de prendre une veste bien épaisse des fois que le temps capricieux de la région décide de changer du tout au tout sans crier gare. Il ne me fallut qu’une heure de marche pour déboucher du bois dense sur une clairière lumineuse et magnifique. La rivière y coulait en toute harmonie, le lieu ressemblait effectivement à certaines plaines irlandaises. Le ciel était grisâtre, mais le temps était clément et je n’avais aucun besoin d’enfiler ma veste. Plutôt ébahie, j’observais la plaine qui s’étendait sous mes yeux en profitant du murmure délicat de l’eau qui remuait dans son lit. Une brindille craqua et je me retournai vivement. Un homme grisonnant était entré dans la clairière près de la rivière Teslin. Ses yeux bleus contrastaient avec l’arrière plan sombre de la forêt. Je fus surprise de voir quelqu’un en ces lieus, mais je n’étais pas effrayée.

-« Qui êtes-vous ? »-demandais-je calmement.

Invité

Tic Tac .. Tic Tac .. La pendule ne cessait de résonner dans l'appartement. Assis sur une chaise de la cuisine, faisant tourner la canne entre mes mains, j'observais la foutoir. Les placards ouverts, la poubelle renversée, des traces de gras sur le sol, une odeur suspect d'urine vers un coin que je n'osais approcher. Bref, ici c'était pire que Beyrouth, sans être vexant ça ressemblait même à l'intérieur des poumons d'un fumeur. Tiens, en parlant ça, je fus pris d'une envie de fumer, histoire de calmer mes nerfs.
Je l'attendais donc.
Il finit par entrer dans la cuisine, ayant sans doute sentit la colère qui rongeait mon pied que je rêvais de lui fourrer là où je pensais. Son derrière vint se poser sur le carrelage et son regard vitreux croisa le mien. Je tentais de me calmer, de prendre un air détendu, agréable.

"Faut qu'on parle toi et moi ..
-Grmf ... "

J'observais le museau d'où coulait un léger filet de bave. Répugnant. Mon index et mon pouce vinrent pincer l'arrête de mon nez alors que je me calmais. Punaise, j'avais cinquante ans demain. Il allait falloir que je trouve un moyen d'éviter ça. Me faire passer pour mort ? Hum .. Pas mal. Mais bref, j'avais un souci plus urgent à régler.
Mon regard se posa de nouveau sur lui. Il leva la patte vers moi mais je la refusais. Ça y est, il avait compris ce que je tentais d'expliquer. La rupture.
Le chien fit glisser son arrière train sur le sol, histoire de se rapprocher de moi, mais il me fallait rester impassible.

"Me regarde pas comme ça .. C'est mieux. On est trop différent .. T'aime la saleté, moi j'aime pas et c'est dangereux pour moi .; J'suis un croûton, j'ai besoin d'assurer mes arrières."

Il comprit. Il se redressa et, la queue entre les pattes, il fila vers son panier. Je soupirais, attrapé mon blouson bien épais, observais le temps par la fenêtre .. Hum .. Idyllique pour une bonne partie de pèche en solitaire, avec Nancy SInatra ou un bon Marvin Gaye. Je me résolus plutôt à attraper ma radio et mon attirail de pèche.
Je quittais l'appartement discrètement et à l'aide de ma canne, je traînais la patte vers les rivières Teslin.
Pas besoin de carte, je connaissais le coin comme ma poche, et j'en profitais avant que ma mémoire ne me fasse défaut. Je suivais donc le sentier et dû me débattre avec des branches qui tentaient de kidnapper ma canne à pèche.

"Saloperie .. Bordel .. Aïe .. Bon sang, mais c'est plus des branches !! C'est des mains !!"

Je faillis faire un arrêt cardiaque quand une voix m'interpella. La main sur le coeur, je rattrapais ma canne avant qu'elle ne tombe et posais mon regard sur la jeune demoiselle. Foutus ados, ils pouvaient pas laisser ces coins-là aux vieillards dans mon genre !! J'vous jure.
Je grognais un bonjour, décidé à répondre une fois installé. Ne lui avait on pas appris les bonnes manières à cette gamine ?
J'installais ma chaise dépliante, ma radio et mon matos. Je refermais mon blouson, histoire de ne pas attraper froid, oui, j'étais arrivé à un stade de ma vie où je devais prendre soin de moi. Quel honte. Ensuite, je me tournais vers la jeune demoiselle, l'oeil grincheux et la mine boudeuse. Je ne l'avais jamais vu celle-là. Une petite nouvelle sans doute, décidément, Watson Lake était envahi par les nouveaux, ça allait encore bousiller la tranquillité de notre petite ville.

"Qu'est ce que tu fais là ?? C'est pas l'heure de la sieste ma petite ?"

Invité

L’homme que j’avais interpelé ne me répondit pas immédiatement. Il s’attarda un instant à l’orée de la forêt comme pour récupérer de sa surprise. Sans doute mon grand père avait-il eu raison, les rivières des environs n’étaient pas les lieux les plus fréquentés de la région. L’étonnement de l’inconnu ne me surprit donc pas plus que nécessaire. Je l’observai s’avancer dans ma direction sans broncher. Il marchait come s’il n’avait pas remarqué ma présence, comme si je n’étais qu’un vulgaire insecte qu’on pouvait chasser d’un coup de main agacé. Ce n’est que lorsqu’il fut à mon niveau qu’il daigna se manifester. Je ne pus m’empêcher d’écarquiller les yeux en entendant la remarque désagréable de l’homme. Il me fallut quelques instants pour me ressaisir et répondre à l’homme. Décidemment, la courtoisie locale n’était pas le point fort des habitants de Watson Lake.

-« Vous voulez peut être que je vous aide à vous installer… Grand-père. Le bras d’une jeune fille serait sans doute fort utile pour… quelqu’un comme vous ! »

D’un air sarcastique, je tendis mon bras droit dans sa direction. Je n’avais pas l’habitude d’être mal polie ; mes parents m’avaient toujours appris à être correcte, même quand mon interlocuteur ne le méritait pas. Mais dans ce cas, j’étais irritée par le comportement de l’homme qui venait m’interrompre dans ma méditation. Un instant plus tard, je me retournai face à la rivière et m’assis en tailleur. Je n’avais aucune intention de rentrer par prétexte qu’un habitant de longue durée était dérangé dans sa routine quotidienne.

L’homme qui venait de s’installer non loin de moi avec si peu de courtoisie était relativement grand, les cheveux poivre et sel et des yeux bleus azurs qui attireraient l’attention de n’importe qui. Il était vêtu de façon très simple, certains auraient utilisé le mot négligé. Je le regardais du coin de l’œil pour constater qu’il aurait pu être tout à fait charmant s’il n’était pas victime du caractère que lui avait imposé son grand âge. L’inconnu me faisait penser à un des voisins irlandais qui habitait une petite maison délabrée non loin de chez nous. Les gamins du quartier se faisaient une joie d’aller déranger le vieillard à la fin des cours. Ils lançaient de petits graviers contre ses fenêtres le faisant enrager à chaque fois. Pour n’importe qui, le vieil homme aurait pu paraître horripiler par le comportement des mômes de Gallway, mais moi j’étais persuadée qu’au plus profond de son être, il attendait impatiemment l’arrivée des garnements qui occuperaient quelques minutes de son temps. C’était sans doute la seule chose qui le rattachait encore à la vie.

Je reportais toute mon attention sur l’inconnu qui paraissait toujours aussi déranger par la présence d’une « gamine » telle que moi. Il avait l’air tellement grincheux que ça en était presque amusant. Un sourire en coin m’échappa avant que je puisse lui demander :

-« Vous venez souvent ici ? »